CEE : La bataille de la 6ème période
Alors que le décret lançant la 6ème période des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) pour 2026-2030 vient d'être publié, actant une hausse des obligations d'économies d'énergie de 27%, le dispositif se retrouve pris en étau.
Entre critiques politiques et réalité économique
D'un côté, une opposition politique virulente (RN et LFI) dénonce un coût insupportable pour les ménages ; de l'autre, le gouvernement et les données de la filière défendent un outil essentiel à la transition et bénéfique pour le pouvoir d'achat.
1. Le procès du dispositif : L'alliance de circonstance des oppositions
Bien que politiquement opposés, le Rassemblement National (RN) et La France Insoumise (LFI) se rejoignent sur un constat : ce sont les Français qui paient la facture.
L’angle d’attaque du RN : La « taxe déguisée »
Pour Jordan Bardella, le décret actant la hausse des obligations CEE est un « décret de la honte ». Le RN présente cette mesure comme une décision délibérée du Premier ministre d'augmenter les taxes sur les carburants, le fioul, le gaz et l'électricité. L'argumentaire repose sur l'idée que cette obligation va mécaniquement se traduire par une hausse des prix à la pompe dès janvier 2026, estimée par certains acteurs pétroliers entre 4 et 6 centimes par litre.
L’angle d’attaque de LFI : Le « coût caché » et l’injustice sociale
De son côté, le groupe LFI dénonce un « double scandale ». Ils critiquent un système extra-budgétaire opaque qui échappe au contrôle du Parlement et qui repose sur une répercussion systématique des coûts par les multinationales sur les factures des consommateurs. Pour LFI, en l'absence de blocage des prix, les CEE sont un impôt privé injuste touchant les plus pauvres. Ils demandent que la transition soit financée par le budget de l'État (comme MaPrimeRénov') et non par un marché sujet aux fraudes. Notons toutefois que LFI accuse le RN de « reprendre mot pour mot les arguments des entreprises polluantes » et de faire preuve de climato scepticisme.
2. La défense du Gouvernement : Responsabiliser les pollueurs
Face à cette fronde, le ministère de la Transition Écologique a contre-attaqué vigoureusement, comme le rapporte Batirama.
Ce n’est pas une taxe, c’est une obligation
Le gouvernement réfute le terme de taxe. Les CEE sont un dispositif obligeant les fournisseurs d'énergie (les « obligés ») à financer la sobriété énergétique. Si le coût augmente pour les énergéticiens, c'est pour financer des travaux (isolation, pompes à chaleur) qui réduisent durablement la facture des Français.
Le choix des pétroliers
L'argument central de l'exécutif est que la hausse des prix n'est pas une fatalité, mais un choix commercial. Le ministère souligne que les compagnies pétrolières décident librement de répercuter ou non leurs coûts sur le consommateur pour préserver leurs marges. Le gouvernement pointe du doigt l'hypocrisie des pétroliers (soutenus par le RN) qui répercutent les hausses de coûts mais pas les baisses du prix du baril. Pour l'État, attaquer les CEE revient à « faire passer les intérêts des pétroliers avant le pouvoir d’achat des Français » en menaçant le financement d'aides concrètes comme le bonus écologique ou le leasing social. Une posture partagée par le Groupement des Professionnels des CEE (GPCEE) qui affirme dans son communiqué de presse du 3 décembre 2025 qu’”En appelant à sa suppression (ndrl : du décret P6), les détracteurs des CEE font au final passer la protection des intérêts fossiles avant l’intérêt général, et privent nos concitoyens, collectivités et entreprises de près d’1 milliard d’euros de financement supplémentaire dès 2026”.
3. Le verdict des faits : Que disent les chiffres ?
Au-delà des postures politiques, l’étude du Groupement des Professionnels des CEE (GPCEE) “Bénéfices & co bénéfices des CEE” apporte un éclairage factuel sur l'efficacité réelle du dispositif. Contrairement à l'idée d'un coût net pour le consommateur, les données suggèrent un bilan positif.
Un gain net pour le pouvoir d’achat
Loin d'être une perte sèche, le dispositif génère un bénéfice net moyen de +90 € par an pour les ménages. Ce calcul prend en compte le coût répercuté des CEE, mais le déduit des baisses de factures énergétiques obtenues et des aides versées.
Une efficacité écologique et économique avérée
Les critiques sur l'inefficacité du système sont contredites par les volumes d'économies constatés :
• Impact carbone : 48 % des réductions d’émissions de CO2 dans les secteurs éligibles sont directement attribuables aux CEE.
• Économies d'énergie : Le dispositif a permis d'économiser 130 TWh par an entre 2018 et 2024, soit l'équivalent de 66 % des objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone.
• Facture nationale : Ces économies représentent 7,2 milliards d’euros évités chaque année sur la facture énergétique de la France.
Enfin, sur le plan social et industriel, le dispositif est un moteur d'emploi, avec la création de 50 000 emplois dans la rénovation énergétique entre 2018 et 2022.
Conclusion
Si le mécanisme des CEE pèse indéniablement sur la structure des prix de l'énergie, le réduire à une simple « taxe » occulte son rôle de pivot dans la transition énergétique. Les données factuelles indiquent que ce coût initial est surcompensé par les économies d'énergie générées et les aides distribuées. Le véritable débat semble donc moins porter sur l'existence du dispositif que sur la répartition de son coût entre les marges des énergéticiens et la facture finale du consommateur.
Pour aller plus loin : l’étude du GPCEE se conclut par 11 recommandations en matière d’emploi, de lutte contre la fraude, de régulation économique et de gisements :
- Utiliser les Certificats d’économies d’énergie comme un outil de planification industrielle
- Éco-conditionner un bonus à l’installation de matériels ou matériaux produits localement ou dans de bonnes conditions climatiques et environnementales
- Économies réelles – conditionner un bonus de 5 ou 10%, encadré, à l’effectivité d’une partie des économies d’énergie pour les ménages
- Cadrer et déployer de manière effective le contrôle visuel à distance (CVAD) dans la réglementation en termes de contrôles amont et en aval de la réalisation des opérations
- Constituer une base de données des opérations valorisées pour se prémunir du risque de doublons
- Mettre en place un niveau de contrôle minimal systématique sur l’ensemble des fiches
- S’assurer de la délivrance d’une prime CEE minimale aux bénéficiaires des travaux
- Mettre en place une expérimentation sur le plafonnement des prix de travaux sur les devis éligibles à certaines Fiches d'Opérations Standardisées
- Instaurer un reste à charge minimum de 5% sur le devis pour se prémunir des opérations à 1€
- Renforcer le dispositif des CEE sur l’accompagnement du logement collectif pour renforcer l’équité du dispositif
- Rouvrir les discussions sur les fiches abrogées par le 71ème arrêté au regard de leur impact en termes d'économies d'énergie et de CO2